Article du Monde : A Marseille, des habitants veulent se faire entendre

  • Saïd Ahamada

9 juillet 2013

REPORTAGE

 

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Des habitants de Marseille ont manifesté, le 1er juin, contre les meurtres et les trafics de drogue dans leurs quartiers. JEAN-PAUL PELISSIER/REUTERS Marseille Envoyée spéciale
Deux groupes très différents, le think tank Avenir Marseille Egalité et les mères du collectif du 1er juin, ont émergé

 

 

 

Les deux groupes n'ont pas grand-chose en commun si ce n'est leur volonté de donner leur avis sur le devenir des quartiers nord de Marseille. Entre le think tank Avenir Marseille Egalité (AME) et le Collectif du 1er juin, l'envie de se mêler de politique de la ville est patente. Tous partagent le diagnostic des dysfonctionnements de l'Etat dans ces zones d'habitat populaire, et l'un comme l'autre refusent de considérer la violence et les trafics comme un point de départ ; ils cherchent d'abord les causes sociales. Mais ces deux formes d'" empowerment " à la mode marseillaise présentent des contours très différents. Parce qu'il y a ceux qui sont sortis des quartiers Nord et ceux y sont restés.

Les premiers se sont rassemblés, dès février 2012, sous l'impulsion d'un jeune homme brillant, grandi dans la cité Félix-Pyat, Saïd Ahamada. Né dans une famille comorienne, il fut d'abord militant associatif avant de se lancer dans des études de finances et de passer un concours de la fonction publique d'Etat. C'est en constatant que les jeunes diplômés de ces quartiers relégués n'avaient plus d'espoir que le quadragénaire s'est senti investi d'une mission : monter un club pour " réfléchir à ce qui ne fonctionne pas et montrer qu'il n'y a pas que des jeunes voyous avec une kalach ". " A mon époque, on savait qu'on ne faisait pas des études pour rien ", dit-il.

C'est au sein des associations ou par son réseau d'affinités qu'il a recruté pour son think tank. Notamment deux amies comoriennes, l'une doctorante en droit, Malika Saïd, l'autre conseillère professionnelle au Crédit agricole, Rema Mogni. Il a ensuite élargi à des connaissances comme Eric Demech, un gestionnaire de crèche rencontré au Lion's club de Marseille et avec qui il milite au MoDem, ou Fatima Fetouhi, déléguée du préfet. Ils sont à présent une trentaine et ont en commun cette défiance vis-à-vis des politiques et de la gauche qui avait tant promis. Plusieurs d'entre eux ont essayé de se faire une place au PS mais se sont heurtés à l'indifférence. " Quand on commence à parler diversité, on sent que ce n'est pas porteur. Et quand on évoque les quartiers, ils pensent délinquance et insécurité ", relate Mme Fetouhi.

Agacés de rester invisibles, ils ont décidé de valoriser leur expérience comme une expertise. " On vient de là, on connaît les problèmes, on peut être une force de propositions ", argumente Malika Saïd. Politique de ségrégation sociale, transports inexistants dès qu'on sort du centre, emplois hors d'atteinte, écoles sans moyens... le groupe veut tenter d'expliquer qu'il y a une sorte d'apartheid à Marseille.

" Les pouvoirs publics ont eu tendance à rejeter les communautés et les HLM vers le Nord et à résidentialiser le Sud ", explique Eric Demech. " Les habitants des quartiers sont des animaux de laboratoire qui ne sont jamais consultés ", insiste M. Ahamada. Lors d'une conférence de presse en février, l'AME avait annoncé une note sur les moyens de " rapprocher les Marseillais ". Elle a été retardée : le cercle de réflexion a jugé plus malin de la sortir au moment de la primaire socialiste. Car la petite équipe ne s'en cache pas : elle entend peser sur les municipales. " Nous avons les réseaux pour mobiliser les leaders positifs des quartiers ", annonce Mme Fetouhi.

Vivant toujours dans le 13e ou le 14e arrondissement dans des conditions précaires, les femmes du Collectif du 1er juin sont, elles, davantage des militantes du quotidien. Le samedi 1er juin, plusieurs centaines d'habitants des quartiers nord avaient défilé à leur appel pour crier leur ras-le-bol de la violence. Avec un mot d'ordre : " Dans les quartiers, nous aimons nos enfants et nous sommes fatigués de les accompagner jusqu'à leur tombe. " C'est devenu leur leitmotiv.

Habitant les cités les plus dures des hauteurs de Marseille, ces mères sont militantes associatives ou simplement investies dans leur voisinage. Beaucoup ont perdu un proche - un fils, un frère - dans les affrontements avec la police des années 1980 ou plus récemment à cause d'une dette de drogue. Alors quand, en mars, un jeune est tombé sous les balles d'un policier ivre, puis deux autres lors d'une fusillade devant une épicerie, elles ont décidé de s'organiser. Comme " une réaction de survie ". C'est par le bouche-à-oreille que ce collectif d'habitantes - au féminin, tant les hommes semblent en retrait - s'est constitué. " Pour marquer le coup, on a organisé une réunion au centre social et fait parler les mères. Dire leurs peurs dès que les mômes sortent, dire aussi qu'elles n'en pouvaient plus de la violence ", explique Yamina Benchenni, la " leadeuse ".

Pour se faire entendre, elles rencontrent le préfet puis la préfète à l'égalité des chances mais en sortent frustrées : " Ils ne mesurent pas la gravité de ce que vivent les familles et ne comprennent pas qu'il n'y a pas de bons morts et de mauvais morts. Les innocents et les délinquants, ce sont nos jeunes ", insiste Mme Benchenni. A une petite dizaine, elles ont fait le tour des familles, contacté les têtes de réseau et rédigé un appel relayé par les centres sociaux, les amicales de locataires, les associations de femmes. " Sur tous les quartiers de Marseille, l'information est passée ", assure Haouaria Hadochick, responsable d'une plate-forme de service public. " Il y a un vrai sursaut des habitants, qui veulent s'impliquer pour que les choses bougent ", insiste Farida Ben Mohamed, une militante de la cité des Flamands.

Leur discours est simple : les maux des cités ne sont pas dus qu'à la violence et à la drogue. Ils viennent aussi - mais on entend " surtout " - des dysfonctionnements des institutions qui semblent avoir déserté ces quartiers. " Les services de l'Etat ont tout délégué aux associations. Maintenant, c'est le réseau de solidarité qui se prend tout dans la gueule ", note Aïcha Haddjeri, responsable de l'association Les Mariannes.

Pour elles, pas question de continuer dans ce désert social, il faut que les institutions reviennent et qu'elles écoutent les habitants. Ces mères courage disent vouloir inventer " une nouvelle méthode d'interpellation " : des collectifs décentralisés se sont créés dans plusieurs quartiers, et 23 propositions ont été rédigées. Une sorte de cahier de doléances : emploi, police, culture, logement... Pour chaque thème, une lettre a été envoyée au ministre de tutelle. Car, disent-elles, " il faut quelqu'un pour nous écouter ".

Sylvia Zappi

© Le Monde

 

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